En préambule, un aperçu de la classe coopérative

En préambule, un aperçu de la classe coopérative sous l’éclairage de la critique des notes à l’école : zéro pointé pour l’institution scolaire !

Rien ne change : les ministres successifs de l’Education Nationale dédaignent tout ce que les mouvements pédagogiques alternatifs proposent.
Pourtant l’éducation nouvelle n’est pas si nouvelle elle a une histoire, elle ne succède pas à la pédagogie traditionnelle, elle lui est contemporaine. Elle s’inspire d’une longue tradition de pédagogues depuis les humanistes de la Renaissance qui déjà estimaient que « l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume ». Les ministres croient que l’école a changé (depuis mai 68) et n’ont de cesse de la remettre dans le droit chemin de la tradition alors que les rapports qu’ils commandent à leurs experts ne cessent de constater et de déplorer l’immobilisme du système.

Cet immobilisme perpétue  la pratique du  cours magistral pour transmettre le savoir et l’évaluation des élèves avec les notes, ce système  inégalitaire qui sert d’abord à trier les élèves plus qu’à les faire progresser
La tradition de la notation, héritée du XIXème siècle, est particulièrement nocive, la notation des élèves est le facteur principal du  découragement dans la classe. Les notes démotivent et fixent la situation des faibles et des forts, dissociant les enfants d’une même classe.

Même si la majorité des enseignants ne classent plus leurs élèves, ceux-ci s’en chargent en fonction des notes rendues publiques dans la classe.

La note sous-estime les qualités personnelles de chacun

Car elle n’évalue que la restitution de contenus, rarement un savoir-être, elle ne reconnaît pas les efforts, elle ne tient pas compte des qualités morales (courage, volonté,) des qualités sociales (sympathie, ponctualité,  aisance à l’oral), des qualités pratiques (initiative, créativité, savoir-faire).

Mais alors, comment reconnait-t-on les qualités personnelles, les aptitudes, les savoir-faire de chacun ? Car ce sont  des atouts pour apprendre. La pédagogie traditionnelle ne s’encombre pas de stratégies pour les valoriser, dommage ! Chacun en est pourvu et leur reconnaissance ouvrirait des voies à l’école élémentaire où se bâtit le socle des apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter).

Pour la suite des études, au collège,  il faut impérativement que cette base soit solide. Et ce n’est pas les notes qui vont aider à leur ancrage, c’est bien le contraire parce qu’elles vont fragiliser la confiance en soi des enfants.

La notation est une manière paresseuse d’évaluer le travail

Un  devoir non réussi est taxé d’une mauvaise note et on en reste là, le maître passe à autre chose, il a son programme et suit son emploi du temps. Indifférent aux différences dans sa classe, il conserve l’idée que sans notes, il ne peut connaître le niveau réel de ses élèves, quitte à négliger le besoin de reconnaissance primordial des enfants dans leur classe.

Un élève qui ne réussit pas est désigné dans la classe, « Quel est le regard des autres sur ce que je suis et suis-je ce que dit la note ? » Seule la note dit ce qu’est un enfant.

L’élève en difficulté a le sentiment qu’il n’a pas l’estime ni la bienveillance du professeur, susceptible de représenter un substitut parental. L’enfant qui a des mauvaises notes ne se sent pas en sécurité, fragilisé par le « désamour » du professeur qui le juge « travail nul », ce qui revient à lui dire « tu es nul ».

Mais comment être reconnu par les autres dans sa classe, comment se sentir aimé, estimé pour ses qualités personnelle, quand celles-ci ne sont pas reconnues par le maître, car non chiffrées ?

Les  conséquences de ce système de classement sur les élèves en difficulté : la honte, l’humiliation

L’enfant se construit dans sa partie privée (famille) et dans sa partie sociale (l’école). C’est à l’école qu’il rencontre les autres.

L’enfant-élève en difficulté  ressens dans sa carrière scolaire qui est longue, une culpabilité grandissante (« je fais honte ») et/ou à une révolte (le décrochage scolaire) et cette honte à répétition entraine la dégradation de son amour-propre, parfois une marginalisation périlleuse, toujours une souffrance intérieure.

Et à la maison, la détérioration des relations familiales qui en résultent rajoute de la tension et du désespoir.

La  gêne, la honte, la mise à l’écart  sont des marqueurs forts qui s’inscrivent profondément dans la mémoire. On n’imagine pas ce que certains propos écrits ou commentaire oraux peuvent produire d’humiliation chez les élèves.

La compétition règne dans la classe

Noter les enfants-élèves est dévastateur car c’est les mettre en comparaison. Les élèves notés sont en situation de compétition, de rivalité auprès du maître. Il s’établit une hiérarchie dans la classe, car tous les élèves notés se classent quel que soit la forme de la notation comme les couleurs ou les lettres (A+, B – …) : le plus fort, le nul, celui qui a le plus de points  rouges, de A ou de C …

Quand la compétition règne dans la classe, les relations entre les enfants deviennent plus dures, la compétition c’est la porte ouverte à l’inimitié, la cruauté surtout dans le langage ; le fait de rechercher la performance à tout prix, de vouloir montrer aux autres que l’on sait mieux faire, fait monter la pression dans le groupe. Ce ne sont plus des enfants en apprentissage, mais des adversaires, des ennemis comme sur un terrain : le modèle du sport professionnel est particulièrement représentatif de la guerre pour la 1ère place, c’est un poison pour la jeunesse.

Dans ma classe on jouait au « football africain » avec d’autres règles, celui qui marquait un but  passait dans l’équipe adverse afin de la soutenir, et seul le plaisir de jouer ensemble était important.
Institutrice pendant  trente-cinq ans, je n’ai jamais noté mes élèves. Quand dans la cour je demandais à mes anciens élèves « comment ça va dans la nouvelle classe ? », invariablement les réponses étaient « j’ai eu dix ! Moi j’ai eu huit, j’suis premier… ». Les notes intoxiquent  les élèves et ils ne peuvent plus s’en passer, alors chacun se vit dans le duel, se compare et se positionne sur le podium scolaire.

Dans la société, la compétition est la porte ouverte à la barbarie, pour être le premier pourquoi ne pas se débarrasser de ses adversaires ? C’est une mise en danger de la civilisation, de l’humanité.

Je me demande si les adultes, après des années, tant bien que mal dans ce système élitiste, punitif et indifférent, je me demande s’il n’en reste pas quelque chose de blessé en eux étant donné que leur émotivité d’enfant a été à rude épreuve. Cette reconnaissance mise à mal à l’école dans le jeune âge, laisse des traces indélébiles, cette dépréciation de soi peut engendrer une recherche permanente de reconnaissance jusque dans la vie adulte et dans tous les domaines (professionnel, affectif).

Abandonner la notation change la forme du travail en classe

« Quel que soit la vie d’un jeune enfant – les difficultés de vie
de ses parents - famille monoparentale, famille nombreuses,  habitat réduit-
il doit trouver dans son école, une place et une identité dans son groupe-classe. »

Comment faire ? C’est dans la pédagogie Freinet qu’on va trouver des solutions.

Comme tout enseignant Freinet, je mets l’enfant-élève, quelle que soit sa culture, en situation d’auteur.

L’apprentissage de la lecture et de la langue (en approchant les complexités de la grammaire et de l’orthographe) vont se construire progressivement  par l’écriture quotidienne des enfants, qui composent de petits textes dont les thèmes sont choisis par eux car destinés à quelque chose de précis dans la vie de la classe (et non pour me faire plaisir)..

Pour que les écrits gardent tout leur dynamisme, leur nécessité voir leur obligation,  ils sont lus aux autres en classe et par d’autres en dehors de la classe, puis publiés fièrement dans un petit journal, recueil des écrits relatant l’actualité du groupe-classe, des informations de nos lecteurs, des échos de la vie de la classe, des récits…
Comme c’est une œuvre collective parce que tous ces écrits servent les projets de la classe, les erreurs de chacun deviennent  la responsabilité de tous : seule la coopération et l’entraide entre les élèves permet d’avancer dans les travaux de plus en plus complexes que la classe Freinet a enclenchés, voilà comment on s’y prend :

Individualiser le travail (c’est l’enfant face à son contrat de travail)

Comment remédier aux erreurs, aux lacunes de quelques-uns pendant que le reste de la classe s’agite ? La classe ne peut pas attendre, va-t-elle pâtir des erreurs de quelques-uns ? Comment corriger en réexpliquant  sans stigmatiser ? Le « mauvais élèves » va ralentir le groupe, il est désigné comme « gêneur ».

Dans la classe traditionnelle tous les élèves doivent faire la même chose en même temps : les élèves rapides s’ennuient vite, il faut attendre ceux qui ont besoin de plus de temps, les plus lents transpirent ! Pour solutionner, l’enseignant se règle sur une moyenne qui ne favorise qu’une petite partie de la classe.

Avec l’individualisation du  travail, les élèves ne font pas tous la même activité en même temps, mais chacun s’organise, chacun sait ce qu’il a à faire en se guidant avec son plan de travail. L’élève peut aller à sa vitesse, il peut se situer et s’évaluer. Dans une classe il y a autant d’élèves que de niveaux. En individualisant le travail, chacun peut aller à son rythme dans les travaux et les acquisitions.

Chaque élève  est ici pour s’entrainer et tâtonner, travailler de façon pragmatique en procédant à des essais successifs, le maître aura besoin de l’aide des autres  pour aider ceux qui ont besoin d’être épauler.

Pour cela, il nous faut prévoir d’autres formes d’organisation et de contrôle. Nous y parvenons à l’aide de nos plans de travail, de nos plannings et des bilans en fin de journée.

Il n’y a pas de mauvais élèves, ni de bons élèves, mais des élèves au travail.

Instaurer la coopération des élèves en classe

La coopération est la seule voie pour vivre l’apprentissage sans appréhension, sans se méfier des autres. Les enfants adorent s’entraider. Il faut se baser sur ce sentiment, le plaisir de faire ensemble, pour amorcer le chantier des savoirs
En coopérant les élèves ne se coupent pas des autres et il y a une perméabilité des découvertes et des expériences, ce qui est bénéfique et stimulant dans la classe.

Quand mes élèves s’entraident, ceux qui sont en difficulté ne souffrent pas de discrimination mais se font aider par les plus rapides, ceux qui sont rapides ne s’ennuient pas car ils s’engagent dans des travaux plus complexes et dans l’entraide.

Ce ne sont pas toujours les mêmes qui aident, il y a des domaines où chacun peut aider : celui-ci aidera à trouver un mot dans le dictionnaire, lui sait utiliser l’outil-affiche à l’aide duquel son voisin pourra corriger une conjugaison, celle-là apprendra à son amie comment construire une rosace avec le compas, celui-ci sait mesurer un segment et va montrer à son voisin comment placer son double-dm., cet autre montrera comment il fait des additions à retenue. Mes élèves à tour de rôle deviennent des tuteurs et moi aussi je participe à cette entraide et je m’inscris comme « tuteur ».

Les élèves doivent impérativement parler de leur vie dans la classe pour que la coopération entre eux fonctionne sans perversion

La coopération est en construction permanente dans le groupe, car rien n’est acquis définitivement. Cela  devient un mode naturel de vie en classe à condition que les élèves en parlent et en débattent régulièrement : la vie dans la classe sera « parlée » par les enfants eux-mêmes, pas n’importe comment, mais inscrit dans un créneau horaire de l’emploi du temps : cette réunion s’appelle  le Conseil, elle est hebdomadaire, c’est l’institution centrale de la classe-coopérative.

Les jeunes enfants sont capables d’amorcer une réflexion sur ce qui se passe entre eux, à condition qu’on ne parle pas à leur place, c’est avec leurs mots qu’ils vont considérer le climat dans la classe – ce qui ne va pas, ce qu’on peut améliorer –  et raisonner sur leurs relations, ils sont capables dès 6ans de construire la Loi pour bien vivre dans leur groupe, en imaginant des moyens et les limites du travail coopératif. Il faut commencer très tôt ces concertations dans la classe car au collège, même au cycle 3, c’est plus difficile d’entrainer le groupe vers les conduites solidaires, en effet les années précédentes ont fait des ravages dans les relations de travail dans les classes.

Les adultes ne pensent pas essentiel d’entendre ce qu’ont à dire les enfants regroupés dans une classe. Ils ne jugent pas nécessaire de faire une place à la parole des élèves
En empêchant les élèves de dire « je », on ne fait rien pour permettre la mise au jour d’histoires conflictuelles et dissimulées ; les points de vue des enfants sur leur vie scolaire sont dédaignés et les rancœurs, les règlements de compte, tout ce qui n’est pas visible joue, le désordre est là, peut-être l’éparpillement et l’éclatement du groupe. Tout a besoin d’être repris sur le plan verbal, intellectuel, symbolique et au besoin remanié : c’est là le rôle essentiel du Conseil de coopérative ou Conseil des élèves ou Conseil de la classe.

L’entourage et la relation, c’est ce qui est primordial pour vivre et travailler dans son groupe pour avoir envie de faire, pour garder le désir en toute sécurité.

Etre reconnu comme un être pensant dès l’âge de 6 ans, être écouté dans son groupe, devenir décisionnaire avec les autres de dispositifs solidaires pour qu’aucun ne reste seul et humilié, donne une image de soi positive. Voilà ce qui est déterminant pour grandir sans violence.

Comment évaluer autrement dans ce contexte ?

Voilà comment j’ai fait dans mes classes :

1) Dans la classe coopérative, l’évaluation est quotidienne et se fait en fin de journée à 16h. Grâce au plan de travail de chacun et aux bilans personnels en fin de journée, on sait qui  a fini ou qui n’a pas fini le travail prévu, alors l’entraide  est organisée, proposée, discutée pour accompagner le lendemain ceux  qui n’ont pas terminé un travail (Il y a une loi dans la classe qui a été discutée en Conseil et qui dit que tout travail commencé doit être fini – visé, signé par le maître – avant d’en commencer un autre).
2) L’évaluation se fait aussi pendant la lecture des textes et le travail collectif qui s’ensuit : je visualise (ardoise, craie) qui sait faire, qui ne peut pas faire encore, les corrections se font à chaud avec l’aide des autres qui montrent et je note : « dans la journée revoir tel chose avec x ».
3) L’évaluation se fait encore en feuilletant l’unique grand cahier de travail où tout est centralisé : les Plans de travail y témoignent du travail de l’élève, de sa rapidité, de ses difficultés ( les corrections ), dans ce grand cahier je peux estimer la qualité du graphisme, l’organisation des collages des fiches de travail et des textes écrits par l’élève, le soin dans les pages, les initiatives dans les décorations…
4) Enfin, je fais une évaluation trimestrielle sous la forme descriptive (narrée et décrite par moi avec l’élève).

Dans la classe coopérative, sans notation, nombre de valeurs que sont la solidarité, la fraternité, le partage, la générosité, le don, la gratuité, la gentillesse,  se vivent, elles ne s’apprennent pas dans des leçons

Il faut pratiquer ces valeurs quotidiennement à l’école, les incarner au jour le jour. Ce modèle du « vivre et travailler ensemble », doit s’édifier très tôt à l’école primaire à partir de 6 ans.

Tous les élèves, du primaire à la terminale, devraient pouvoir étudier dans un environnement solidaire, sans compétition, sans  évaluations sélectives, en toute sécurité. La classe doit être une coopération d’élèves-chercheurs, entrainés aux prises de parole, capables de s’associer sans rivalité, capable d’empathie, affrontant ensemble les problèmes.

Nos élèves de maintenant, c’est  l’humanité de demain

La jeunesse quelle que soit son origine, est une richesse, une promesse, c’est la future humanité. L’école en est le ferment : qu’est-ce qui va y germer ? Guerre ou paix ? Racisme ou fraternité ?

Mais si l’enseignant maintient sa classe dans la pédagogie classique qui génère compétition, lutte  et rivalité, la mise en chantier de l’œuvre civilisatrice sera stérile.

Maintenant passons à la pratique

Pour mieux comprendre la complexité de l’organisation coopérative de la classe Freinet, je conseille de suivre les chapitres dans l’ordre du sommaire (à droite, en haut de page).

1ère partie : Une journée dans la classe Freinet

Les commentaires sont fermés.