Un Conseil en CP (janvier)

Aujourd’hui  voici ce que les enfants ont écrit sur la grande feuille, c’est l’ordre du jour :
« Johendry m’a étranglé. » Anas
« Clément s’est moqué de mon dessin. » Arnaud
« Johendry m’a dit tes fesses sont grosses. » Volkan
« Je voudrais faire un club de sous-marins. » Anas
« Des grands ouvrent la porte des toilettes quand on fait caca. » Romain

D’abord on écoute la personne qui porte plainte.
Anas lit sa plainte, il raconte que dans la classe, il allait ranger les feutres et Johendry l’a étranglé « il m’a pris le cou comme ça », j’interviens « Parle à Johendry en le regardant », Anas arrête de me regarder et se tourne vers Johendry « Pourquoi tu m’as fait ça Johendry ? », comme l’agresseur ne répond pas Malika lève le bras « Pourquoi t’as fait ça Johendry ? », « C’est pour jouer. » dit-il, des mains se lèvent, j’énonce les noms des élèves dans l’ordre : d’abord le premier qui a demandé à parler, puis le deuxième, le troisième…ce sont Sélim, Magali, Lucie, Arnaud.
« Johendry, c’est pas un jeu » « Johendry si on te le faisait à toi qu’est’c’que tu dirais ? » « ça peut faire mal, Johendry. » « Moi aussi y’m l’a fait. » Là, j’interviens :  » A qui tu parles, Arnaud ? ». Pour éviter les dispersions, je ramène Arnaud vers un interlocuteur : « A Lucie ». « Alors regarde là et dis son nom. » « Lucie, moi aussi y’m l’a fait ».

Ce geste de Johendry est courant dans la cour de récréation. Johendry n’a pas l’air de bien entendre la gravité de ce jeu… alors je décide de pousser plus loin la réflexion : « Je me donne la parole », je vais chercher notre petit squelette (1 m de haut, en plastique, il est une réduction parfaite du squelette humain, on l’a appelé Albert), je simule une strangulation sur Albert et je demande aux élèves de dire ce qui se passe quand on étrangle quelqu’un : « Les os, y sont serrés… y’a six os… les vertèbres elles portent la tête… si elles sont abimées ?… la tête elle tombe… », Ils miment leur tête qui tombe. Tout le monde le fait en rigolant . Merci Albert ! Retour au calme… et à l’affaire. Maintenant ceux qui réclament de parler, vont redire, à leur façon, le danger « Faut pas l’faire. »… Je demande :
« Que demandes-tu Anas ?                                                                                                                 – Des excuses et la promesse…
- Excuse-moi Anas de t’avoir étranglé, je ne le referai plus ».
Johendry s’est plié au rituel symbolique, il a prononcé les mots réclamés par la victime, devant toute la classe, au début, les enfants disaient « pardon », j’ai voulu que les excuses se disent autrement, dans une phrase plus longue. Anas répond : « J’accepte tes excuses. » Cette formule scelle un accord.

Arnaud parle à la classe :
« Clément s’est moqué de mon dessin, j’faisais l’dessin de la grenouille et il a dit c’est nul,                                                                                                                                                           – Je m’excuse, Arnaud  (Clément).                                                                                                    – C’est pas facile, Clément, dessiner une grenouille (Charline).                                                    – Oui si tu l’ferai ce dessin tu saurais p’tête pas », c’est Carine indignée qui ne se contente pas des excuses de Clément.
Je dis : « Je me donne la parole, as-tu fini ton dessin de grenouille, Arnaud ?                           – Non, j’ai pas fait les pattes.
– Peut-être que tu peux aider Arnaud à faire les pattes,Clément ?                                             – Oui d’accord. »

Volkan lit : « Johendry m’a dit tes fesses sont grosses j’étais à côté de lui à la table des bricolages et y m’l’a dit. »
Il y a des sourires en coin, ils n’osent pas trop trouver ça marrant ouvertement, le Conseil c’est sérieux… Johendry est plié en deux de rire, alors j’interviens et le ramène à quelques réalités : « Tiens on va mesurer les tiennes Johendry et on va voir. », tous rigolent, ce n’est plus Volkan, mais c’est Johendry qui fait les frais maintenant de la moquerie et celle-ci peut devenir cruelle.
Magali parle :
« Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, Johendry                          – – On est né comme ça, dit Erwin.
- C’est pas bien de se moquer de comment on est, dit Samy qui approuve Erwin, elles sont pas grosses ses fesses à Volkan. » et re-rigolade.
Pour ramener les enfants dans la réflexion, je lève la main « Est-ce qu’on a tous le même corps ? a-t-on le droit de vexer, de blesser en parlant du corps ? » Malika demande à parler « ça fait mal au cœur », « oui ça rend triste », « Volkan y va s’trouver moche » dit Hugues.
L’atteinte à l’intégrité de la personne est perçue dans ces échanges.
Johendry fera des excuses et Volkan répondra qu’il accepte ces excuses avec un grand sourire.

« J’voudrais faire un club de sous-marins. », c’est Anas qui pose cette proposition.                                                                                                                                              – Mais y’a déjà le club de Hugues, dit Sélim, c’est le club des dessins d’bateaux t’as qu’à aller avec lui ». Romain lève la main : « c’est pas pareil Sélim. » « Demande à Hugues » dit Charline, « Moi j’veux bien » répond Hugues.
Victoria qui est responsable de la pancarte des clubs, demande à parler, c’est un petit évènement car elle ne parle pas souvent :
« Le club de Hugues c’est le lundi après-midi,                                                                             – - – Veux-tu être dans le club de Hugues ? » c’est moi qui demande après avoir  levé la main. C’est d’accord, Victoria décroche le planning des clubs et Anas y met son nom.

Romain lit ce qu’il a écrit sur la pancarte :
« Y’a des grands qui ouvrent la porte quand on est aux WC. »
Tous se mettent à parler en même temps, on sent que ça arrive souvent pendant les récréations et ça touche tout le monde.
Ici, le Conseil sort de la classe, il s’agit de comportements extérieurs à nous, impossible de savoir qui c’est… « C’est les grands. ». Alors il va bien falloir nous débrouiller avec ce problème.
Beaucoup redisent pour eux la crainte d’un telle expérience. Après avoir entendu diverses façons d’en parler, nous cherchons comment nous en protéger. Il y a diverses propositions : « On va aux toilettes à deux. », « On attend son copain derrière la porte. », « On lui tient la porte. »
J’interviens : « Voulez-vous qu’on écrive un mot à Mme la directrice ?
– Oui
– Qu’est-ce qu’on lui dit ?
– Ben…que des grands nous embêtent dans les WC.
– Non, on va se plaindre dans son bureau.
– Si elle est pas là ?
– Faudrait lui demander de mettre un verrou. », c’est Romain qui a cette idée, tous approuvent. « Qui va écrire ? » Romain se désigne, il préparera une lettre avec Maxime qui me demande, soucieux d’avoir le temps de finir sa journée de travail : « ça comptera pour histoire ? », je lui réponds  « oui ».

Je me souviens d’un Conseil, toujours niveau  CP, Jessica nous a lu sa plainte contre un garçon de la classe d’à côté : « Il arrête pas de m’embêter y m’a fait mal. », Nolwen a demandé à parler : « Oui depuis la maternelle, Stéphan, il l’embête… ». C’est comme ça que nous apprenons que cette persécution durait depuis deux ans. Comment l’aurions-nous su ?
Stéphan a six ans, nous l’avons invité à venir nous parler de ce harcèlement, il a dit « C’est elle pace’qu’elle m’avait traité », une discussion s’est engagée entre lui et Jessica devant l’ensemble du Conseil, les élèves étaient attentifs, avec cette demande énorme de justice, personne ne perdait une miette de l’histoire, des bras se sont levés « Oui mais Stéphan ce n’est pas une raison. », « Et à toi si on te le faisait… » argument préféré des enfants ! L’enfant est presque étonné de ce débat.
Traditionnellement un enfant qui vient se plaindre est consolé, l’agresseur est sermonné et puni dans le préau. Bon, mais quelle souffrance est réveillée, pourquoi Stéphan n’a pas « digéré » cette histoire ancienne ? Qu’est ce qui se rejoue ? Stéphan a la réputation, déjà au CP, d’être violent avec les autres. Voilà un bon moyen de mieux le connaître, de s’en faire un ami puisqu’il va expliquer aux autres ce qui l’a blessé.

Alors Stéphan n’est plus seul, par ses paroles il a touché les autres, surtout quand il a fait des excuses et la promesse devant tout le Conseil des enfants qui ont… applaudi ! Stéphan  a rencontré les autres dans un échange à la fois affectif et institutionnel et lui, l’agresseur, il a participé à l’élaboration de la loi.

On ne reconnaît pas assez aux enfants et aux adolescents une pensée « politique » dans le sens d’options à prendre, d’actions concertées, de décisions arrêtées au cours des Conseils.
C’est très impressionnant de voir réfléchir les jeunes élèves, de les voir confronter leurs points de vue, les enfants même très jeunes sont capables de réflexions très pertinentes, ils ressentent au plus près, ils montrent une générosité très grande et un grand besoin de réparation quand l’un d’entre eux porte plainte.
Ils sont très sensibles à l’installation des lois, ils y font référence souvent : « On a le droit de circuler dans la classe, mais tu m’as bousculé… » et Emma lit à Volkan sur la pancarte des lois : « Les élèves ont le droit de circuler librement dans la classe, mais ils doivent faire attention aux autres. »

Mes interventions pendant le Conseil des élèves.

Les commentaires sont fermés.