Le Conseil des élèves

La Pédagogie Freinet est une philosophie éducative.

La classe est un lieu d’instruction et de vie où peuvent se dire les sentiments, les émotions, le plaisir et le déplaisir. L’école peut donc être un lieu salutaire, en permettant aux enfants de trouver des solutions à leurs problèmes relationnels car les perturbations affectives entravent la réussite scolaire et l’image qu’on a de soi.

On n’imagine pas le niveau de la force des injures et des moqueries dans une cour de récréation, les enfants n’en comprennent pas toujours le sens, mais il y a une surenchère dans les insultes et ça se passe dés que les enfants vont à l’école, dés qu’ils vivent leur vie sociale en dehors de la famille.

Faire prendre conscience aux enfants, dès le plus jeunes âge, de la gravité de ce que l’on dit, en débattre dans un lieu qui ne sert pas à punir mais à réfléchir, c’est le rôle primordial des Conseils dans la classe.

Les élèves n’ont pas de façon innée les moyens de penser leur rapport à l’autre, la pratique des Conseils devrait entrer dans les programmes de l’école, comme lieu de réflexion, comme moyen indispensable pour vivre et travailler ensemble.

On apprend la citoyenneté en la vivant.

 

Cette organisation met en place une priorité de responsabilités et de compétences, en instaurant de nouvelles relations dans le travail.

La classe est un groupe et ce groupe, pour ne pas éclater, pour ne pas se haïr, doit régulièrement arrêter le travail et se pencher sur son fonctionnement, sur le climat entre ses membres, sur « qu’est-ce qui pourrait aller mieux… ». Le Conseil des élèves, une fois par semaine, est l’outil central de la classe coopérative, chaque enfant peut y parler de sa vie à l’école et plus précisément de sa vie dans la classe.

Voici se que j’explique aux élèves du CP dont c’est le 1er Conseil :

« Le Conseil n’est pas un lieu de punition, pas un lieu de sanction, on peut tout dire, personne n’est puni, nous nous mettons en rond pour réfléchir et discuter ensemble de ce qui ne va pas dans la classe, et ce qui se dit pendant le Conseil reste secret. »

 

 

 

 

Tous les lundis de 13 h 30 à 14 h 30, nous mettons nos chaises en cercle autour de la classe, Lucie, la responsable, installe au tableau la grande affiche qui est l’ordre du jour du Conseil aujourd’hui ; sur une grande feuille, on voit des petites phrases et des signatures : c’est ce que les enfants ont écrit dans la semaine depuis le dernier Conseil, pour se plaindre ou proposer…

Au Conseil les enfants parlent des conflits, des agressions physiques et verbales, et, à cette période de l’année (CP mars ) certains commencent à écrire des propositions. J’ai moi-même écrit « Comment aider les autres dans leur travail ? » et j’ai signé.

Je m’assois à côté d’eux dans le cercle, ouvre le « cahier du Conseil » où j’écris presque mot à mot les dires des enfants. Cette prise de notes a intrigué les élèves, j’ai senti comme une inquiétude : pourquoi la maîtresse écrit-elle tout ce qu’on dit ?

J’explique que je fais le travail de la greffière, sitôt qu’il y a une contestation, je peux relire ce qui a été dit, mes notes servent de mémoire. Je suis la Secrétaire du Conseil.

Chacun a la parole, mais d’une manière structurée, non destructive.

Mon rôle c’est de veiller à ce que les enfants se parlent sans moqueries, pour que le Conseil soit un lieu sécurisant et permette la résolution des situations conflictuelles et des tensions affectives qui, non résolues, amèneraient la mort du groupe.

Pendant le Conseil, je montre une neutralité bienveillante et n’intervient que pour faire respecter les règles d’écoute. je suis la moins directive possible, discrète mais attentive, je m’efface au profit de la parole des enfants et des échanges entre eux.

Il arrive que j’intervienne (le moins souvent possible) quand je dois apporter des éléments qui feront évoluer leurs représentations, je lève le bras comme eux et je dis « je me donne la parole ».

Les élèves créent les lois de la classe, ils discutent des conflits, des violences physiques et verbales, des humiliations, des difficultés à se faire des amis, du désir d’être aidé. Après débat, le Président demande à l’enfant agressé « que réclames-tu ? », celui-ci répond « des excuses et la promesse » et le rituel, c’est que l’agresseur le regarde dans les yeux et formule : « excuse-moi Ismaelle de t’avoir dit « conasse », je ne le referai plus », Ismaelle rétorque alors : « Philippe j’accepte tes excuses ».

Comment aider un élève en difficulté, comment « faire coup d’main »? C’est une réflexion que j’ai voulu aborder très tôt avec eux : leurs idées et leurs réflexions déboucheront peut-être sur de nouvelles lois du travail coopératif. On pourra toujours rediscuter ces nouvelles règles dans les prochains Conseils pour affiner la notion d’aide.

Extrait de mon journal de bord :

« Les premiers mois de l’année, j’ai observé comment ils faisaient pour s’entraider, pour « faire coup d’main » comme ils disent.

Certains m’imitent, Victoria et Charline font « la maîtresse », elles prennent la baguette pour montrer des mots à Mondibou qui, assis devant sa feuille, le stylo en l’air, attend qu’on lui apporte l’information : on dirait qu’elles jouent à la maman, Mondibou est leur bébé.

Magali fait un modèle écrit sous la dictée d’Erwin, il va pouvoir recopier. Maxime et Clément sont penchés tous les deux sur un livre, Maxime lit à Clément.

Carine s’est saisi de la feuille d’exercices de Inès et remplit les cases, elle fait carrément le travail de Inès qui se tient debout près d’elle, de temps en temps, celle-ci jette un coup d’œil pour voir si Carine a fini et fait des sourires à la ronde.

Volkan donne son travail à copier à Johendry qui s’est installé à sa table, Volkan étant prié d’aller faire un tour ! Johendry recopie l’exercice mot à mot. Il s’est installé sur le cahier de Volkan.

Pour aider, les enfants donnent à copier leur propre travail ou font le travail à la place de l’autre. Mes élèves doivent continuer à s’entraider sans que se crée dans la classe, des réseaux « d’esclavage », des pressions du type « si tu me montres pas… », du racket au niveau du travail.

Alors, pour construire cette coopération d’élèves, pour que l’entraide soit un échange de méthodes et une confrontation de points de vue, nous en débattons. Il faut élever le débat, entrer en réflexion, entendre les idées de tous, affiner leur perception de l’aide à l’autre et peut-être donner des outils, des modèles, pour que s’imagine, se pense le « coup d’main ».

La dessus je n’ai pas trop de soucis, les enfants, quand ils ont la parole, même à 6 ans, disent généralement l’essentiel, ils savent très bien raconter ce qui ne va pas, avec leurs mots, ils sentent tout, ils disent tout ce qu’il y a à en dire !

 

C’est Magali qui ouvre le débat :

« Pour aider faut montrer les mots

- oui faut pas copier sur l’autre

- si ! on a le droit de copier

- oui mais si tu copies et qu’c’est faux…

- tu copies en te demandant

- vérifie si c’est vrai ce qu’il a fait… »

Ils sont tous d’accord pour revoir leur façon de s’entraider, pour eux, recopier ou faire recopier, c’est pas apprendre…

J’oriente leurs idées : « Pour aider, on pourrait montrer.., avec quel matériel ou avec quelle pancarte… on peut apprendre à trouver… la page du dictionnaire… ». Je reste évasive tout en ouvrant des pistes, pour qu’ils formulent eux-même et pour qu’ils découvrent leur pouvoir de décision.

Samy demande la parole, il s’adresse à Inès car c’est la dernière qui a parlé :

« moi j’commence toujours par un travail écrit comme ça chu pas en r’tard. »

C’est la stratégie de Samy pour finir sa journée de travail. Pour lui, aider quelqu’un, c’est l’aider à finir le travail prévu dans son plan de travail, c’est aider à aller plus vite.

« Moi avec Arnaud on fait chacun dans son coin et on regarde si on a pareil. » dit Maxime. « Moi j’ai montré à Charline comment compter avec les doigts. », « Moi j’préfère prendre des cubes. », « Un par un c’est trop long ! », « Fais des paquets de dix ça va plus vite ! », « Tu peux compter avec la grande baguette… ».

Chacun raconte sa manière de faire, sa préférence pour une méthode, pour un matériel, il n’y a pas une façon unique de travailler. Tous acceptent l’idée de confronter leurs méthodes ou de se consulter « comment tu fais… » et de DONNER du temps.

La difficulté pour mes jeunes élèves c’est la maîtrise du temps, « Romain tu es sur ton dessin depuis longtemps, regarde ton plan de travail, il faudrait commencer un travail écrit… » et je lui montre la pendule, à force de parler de l’heure, certains se mettent des repères pour ne pas se laisser déborder par le temps : avant la récréation du matin, après la récréation… avant la cantine… et plus tard se servent de la grosse pendule de la classe.

Semaine après semaine, les élèves découvrent leurs droits et leurs devoirs :

« J’ai le droit de copier si il est d’accord mais je dois vérifier avec lui. »

« J’ai le droit de travailler avec quelqu’un mais je ne gêne pas mes voisins. »

« J’ai le droit de bouger dans la classe mais je ne bouscule pas les tables. »

« J’ai le droit de faire mon travail comme je veux, avec qui je veux, mais je dois faire ce qui est noté dans mon plan de travail. »

« J’ai le droit d’aller boire quand je veux, mais je dis où je vais à la maîtresse. »

Ils vont s’engager dans des responsabilités (ces responsabilités sont tournantes afin que cela ne soit pas toujours les mêmes qui fassent les tâches les moins gratifiantes) et faire des propositions pour améliorer la solidarité dans le travail.

Les premiers jours de classe, j’ai insufflé de la solidarité entre eux. On peut travailler avec un ami, copier, se parler, demander « montre-moi… », s’intéresser à comment fait l’autre, j’ai encouragé leurs échanges : « comment tu fais… c’est quoi ce mot… dans tes étiquettes t’as le mot « soleil » ?… », je les habitue à s’adresser entre eux, à se parler . « On a le droit de parler dans la classe, mais on parle doucement », est une des premières règles créée lors des premiers conseils en CP.

Au début de l’année : je joue le rôle de Président. Le président du Conseil désigne ceux qui lèvent le bras pour parler et veille aux règles d’écoute. Je précise les règles d’écoute : quand on veut parler, on lève le bras, on parle en s’adressant à quelqu’un, en le regardant, pour désigner à qui l’on parle ; l’enfant dit son nom :  » Carine, je suis d’accord avec toi mais… », (les enfants ont tendance à parler aux autres en regardant la maîtresse), on se répond en regardant son interlocuteur, on ne coupe pas la parole, seul le Président distribue la parole et le Secrétaire note les sujets abordés et les décisions prises.

Dans un premier temps, j’assure le rôle de Président jusqu’à ce qu’un membre de la communauté-classe ait le désir de s’essayer à l’exercice de distribuer la parole et d’assurer l’ordre.

Le rôle de secrétaire me revient jusqu’à ce qu’un élève s’essaye à la prise de notes dans le cahier du Conseil : dans ce cahier, je note les sujets abordés, toutes les décisions y sont inscrites et font force de loi. Ici, nous ne nous intéressons pas à l’orthographe car nous favorisons plutôt l’exercice difficile de la prise de notes. Seul le sens compte, quand l’enfant-secrétaire relis ses notes au groupe à la fin du Conseil, c’est pour rappeler les sujets traités et résumer les décisions prises…

Leurs droits et leurs devoirs d’élèves sont écrits au fur et à mesure, et affichés dans la classe : c’est la Loi. Les élèves s’aperçoivent vite de la réalité des décisions prises, donc

du pouvoir de leur parole. Après la Toussaint, la correspondance ayant

démarré, le premier journal étant paru et les buts du Conseil entrevus, les élèves deviennent nettement plus actifs, fourmillant d’idées et de désirs au niveau du Conseil (les clubs). Ils apprennent à s’associer, c’est un droit dans la classe et un précieux souvenir pour leur vie d’adulte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un conseil en CP

Les commentaires sont fermés.