Enseigner la morale à l’école

L’enseignement de la « morale laïque » doit être harmonisé pour enseigner aux enfants les principes et comportements du « vivre ensemble », réflexion engagée à la demande du ministre de l’Education nationale.

« Je n’ai pas dit instruction civique mais bien morale laïque », explique le ministre. « C’est plus large, cela comporte une construction du citoyen avec, certes, une connaissance des règles de la société, du droit, du fonctionnement de la démocratie, mais aussi toutes les questions que l’on se pose sur le sens de l’existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse ou une vie bonne. » (septembre 2012)

L’éducation à la morale à l’école

Les valeurs sociales, humanistes transmises par l’école, doivent être mises en chantier très tôt dans l’enfance.

A l’école maternelle, les petits expérimentent la vie scolaire avec les autres et font leurs premiers pas dans la vie sociale sans les parents. Leurs premières expériences de vie en société sont accompagnées par l’éducation artistique, créative et ludique : la pratique des jeux libres et des jeux à règle a favorisé la socialisation dans le plaisir, en faisant semblant, en se surpassant, en adhérant…

A l’école primaire, de 6 ans à 11 ans, les principes de base raisonnés du « vivre ensemble » vont se construire dès le CP, jusqu’au CM2. C’est ici que tout se joue, mais comment ?

Classiquement, à l’école primaire, les valeurs sociales sont enseignées dans des leçons de morale, lues par le maître, écrites au tableau et recopiées sur le cahier par l’élève. L’enseignant tente de faire participer les élèves à la réflexion qu’il a proposée, il essaie d’amorcer des petits débats philosophiques.

Dans ce contexte l’enseignant dirige la parole, décide du thème du jour, et les enfants dressés à l’obéissance et au silence, plus passifs que critiques, attendent les consignes ; les plus délurés vont lever le doigt pour répondre à l’invitation, ils illustreront, par des petites histoires, le bien-fondé de la maxime du jour ; sur le moment ils jouent sincèrement aux « bien-pensants ».

Cette transmission par l’adulte de préceptes moraux peut séduire l’auditoire enfantin : les histoires illustratives divertissent comme les récits dans les contes. Cependant l’enseignement demeure abstrait, éloigné de la réalité vécue. En reste-t-il quelque chose dans les perceptions enfantines ? Malheureusement ce qui est enseigné ne fait pas liaison avec ce qu’expérimentent les enfants entre eux – la cour de récréation en est un exemple : jeux, mais aussi querelles, brutalités, moqueries, exclusions, y ont la part belle.

Dans ces conditions, comment ces principes moraux peuvent-ils avoir du sens pour les jeunes enfants ?

Comment développer la pensée de l’enfant, son opinion, son avis ?

Pour que mes jeunes élèves acquièrent une représentation mentale des valeurs humanistes du « vivre et travailler ensemble » j’ai choisi de les faire travailler en coopération. Ainsi, ils vivent et développent ces valeurs : la gentillesse, l’écoute, l’entraide, le don de soi, la tolérance, le respect, l’amitié. Dans la classe coopérative, dès le cours préparatoire, ils apprennent à s’entraider et à coopérer dans les travaux scolaires. Ils font deux choses à la fois : ils entrent dans les apprentissages fondamentaux et ils créent du bien-être en classe en vivant par eux-mêmes les valeurs morales qu’on voudrait  leur donner.

Qu’est-ce que c’est, une classe coopérative ?

C’est une classe qui s’organise en une communauté d’enfants où on apprend avec le concours des autres : ceux qui sont en difficulté ne souffrent pas de discrimination, mais se font aider par les plus rapides, ceux qui sont rapides ne s’ennuient pas car ils s’engagent dans des travaux plus complexes et dans l’entraide.  L’entraide est organisée et la solidarité devient une valeur importante et nécessaire pour avancer dans son travail, quel que soit le niveau où en est l’élève, sans humiliations. Aider mon copain à corriger son exercice, montrer comment faire une addition à son voisin, s’associer pour monter un projet de bricolage, voilà qui plaît d’emblée aux enfants : ils se sentent « grands » (responsables) et sécurisés car chacun sait dès lors qu’il sera soutenu si cela ne va pas… C’est une formation à la camaraderie, à la fraternité.

Dans la classe coopérative – initiée par la pédagogie Freinet -,  pour que les valeurs de solidarité se vivent, mes élèves apprennent à devenir des communicants :  l’entraide est verbalisée, intellectualisée dans le Conseil des élèves, moment de parole prévu en classe pour que les enfants-élèves développent une pensée politique : avec des prises de responsabilité, du pouvoir de décision, des prises d’initiative et, au niveau d’une école, avec des délégations d’élèves rompus à la communication par l’exercice régulier des conseils.

Qu’est-ce que c’est, le Conseil des élèves ?

Dans l’emploi du temps de la classe l’enseignant réserve une heure hebdomadaire pour que les élèves tiennent leur Conseil (l’inscrire dans l’emploi du temps est un garde-fou pour le maître, il lui est impossible d’en faire l’impasse !).

A l’heure prévue, le travail cesse, les élèves et le maître se disposent en cercle. Un élève, responsable du cahier du Conseil, affiche l’ordre du jour. Quel est-il ? Ce sont des plaintes, des propositions,  surtout des plaintes – vivre et travailler ensemble cela ne va pas de soi -. Le président du Conseil annonce : « Le Conseil est ouvert ».

Ainsi, une fois par semaine les enfants y parlent de leur vie scolaire et réfléchissent à l’améliorer : « Qu’est-ce qui ne va pas dans la classe ? » ou « Comment s’entraider ? » ou encore « J’ai peur de me tromper. »… Pour apprendre ensemble, les enfants réfléchissent à leurs relations entre eux, les regardent, les critiquent. Mais ce n’est pas l’adulte qui choisit de quoi on va parler. Les enfants vont apprendre à s’écouter, ils vont « s’entendre ».

Pendant le Conseil, chacun peut parler aux autres sans moqueries. Un exemple : Mariama vient lire à voix haute sa plainte : « Samir m’a bousculé et j’ai raté mon dessin. Signé : Mariama », après discussion entre élèves (ce n’est pas l’anarchie, il y a une obligation de demander la parole en levant le bras et le président donne la parole dans l’ordre d’apparition des demandes), une règle est votée : « J’ai le droit de circuler dans la classe, mais je ne bouscule pas les tables. » Le maître est en situation de participant – comme les enfants – non de dirigeant. Son attitude : neutralité et bienveillance. C’est d’ailleurs sa posture générale dans la classe coopérative, il est un organisateur au service des centres d’intérêt de ses élèves.

C’est l’établissement de la parole de l’élève dans sa classe qui régule les relations de travail et d’entraide.

Dans ce contexte, apprendre avec les autres, apprendre par les autres devient possible et c’est très agréable : le travail scolaire se fait dans la solidarité et l’échange, cela veut dire que personne n’est oublié.

Dans la classe coopérative le travail est individualisé, les élèves n’en sont pas tous au même point et ne font pas tous la même chose en même temps, mais tous travaillent : l’individualisation des travaux s’organise avec les plans de travail personnels et les bilans de chacun en fin de journée – merveilleuses techniques de la pédagogie Freinet – donc l’entraide est également programmée.

Il est primordial d’encourager la solidarité entre les élèves et non la rivalité, d’éliminer la compétition et de valoriser le partage des savoirs et des savoir-faire. La solidarité est le fondement, l’élément essentiel d’une vie de classe correctement heureuse. Cet aspect de la classe coopérative change profondément les relations entre les enfants.

Cette formation à la citoyenneté, grâce à la régularité des Conseils d’élèves,  permet d’exercer de nouvelles compétences : entrer dans la complexité (traditionnellement le maître planifie tout, prévoit, devance…), se situer, imaginer des solutions nouvelles et participer à leur mise en œuvre (ici le maître écoute ses élèves et soutien cette mise en œuvre). L’éducation à la citoyenneté ouvre de la sorte un champ probablement peu familier aux pratiques scolaires : la confrontation à l’incertitude (quel parti prendre) et aux dilemmes (choix et alternatives)… Mais ce cadre n’est cependant pas sans repères ni règles, c’est l’enseignant qui pose les limites des possibilités d’action à l’intérieur desquelles les enfants-élèves vont imaginer des systèmes solidaires, inventer des solutions pour faire, et définir leurs droits et leurs devoirs. Les élèves formulent des idées, inventent des règles qui feront loi, ils prennent en charge leur administration… Les valeurs morales ont du sens : tous collaborent à les faire vivre en classe.

Dans la classe coopérative, l’éducation à la citoyenneté se vit, elle ne s’apprend pas dans des leçons.

Le modèle du « vivre et travailler ensemble », se vit et s’édifie dès l’école primaire de 6 ans à 11 ans.

Etre reconnu comme un être pensant dès l’âge de 6 ans, être écouté dans son groupe, devenir décisionnaire, avec ses pairs, de dispositifs solidaires pour qu’aucun ne reste seul et humilié, donne une image de soi positive. Voilà qui est déterminant pour grandir sans violence.

Tous les élèves, du primaire à la terminale, devraient pouvoir étudier dans un environnement solidaire, sans compétition, sans  évaluations sélectives, la classe doit être une coopération d’élèves-chercheurs, rompus aux prises de parole, capables de s’associer sans rivalité, capable d’empathie – qualité qui se construit et qui transforme en profondeur la personne – afin de surmonter ensemble les difficultés à entrer dans le travail et avancer dans l’acquisition des connaissances.

Nos élèves sont les adultes de demain.

Les pratiques scolaires vont fortement marquer leur conduite d’adulte et leur façon d’établir des liens avec les autres pour des projets de vie et de travail car ce que l’on vit dans l’enfance est un marqueur puissant. Durant les années de scolarité, qui sont longues, être habitué à apprendre avec les autres et non contre les autres, être entraîné à prendre la parole, à débattre, prévient une possible détérioration de l’estime de soi, affermit la personne, célèbre l’amitié et produit du bien-être.

 

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